Quelques infos sur l'Indochine



L’Indochine française est un territoire de l'ancien empire colonial français, dont elle était la possession la plus riche et la plus peuplée. Officiellement nommée Union indochinoise puis Fédération indochinoise, elle est fondée en 1887 et regroupe, jusqu'à sa disparition en 1954trois pays d'Asie du Sud-Est aujourd'hui indépendants, le Viêt Nam, le Laos et le Cambodge, ainsi qu'une portion de territoire chinois située dans l'actuelle province du Guangdong.

Elle se compose de la colonie de Cochinchine (Sud du Viêt Nam), des protectorats de l'Annamet du Tonkin (Centre et Nord du Viêt Nam), du protectorat du Cambodge, du protectorat du Laos et du territoire à bail chinois de Kouang-Tchéou-Wan.

La colonisation française de la péninsule commence en 1858 sous le Second Empire, avec l'invasion de la Cochinchine — officiellement annexée en 1862 — suivie de l'instauration d'un protectorat sur le Cambodge en 1863. Elle reprend à partir de 1883 sous la Troisième République avec l'expédition du Tonkin, corollaire de la guerre franco-chinoise, qui conduit la même année à l'instauration de deux protectorats distincts sur le reste du Viêt Nam. En 1887, l'administration de ces territoires est centralisée avec la création de l'Union indochinoise. Deux autres entités lui sont rattachées par la suite : en 1899 le protectorat laotien, instauré six ans auparavant, et en 1900 Kouang-Tchéou-Wan.

Les Français sont peu nombreux en Indochine, qui n'est pas une colonie de peuplement mais en premier lieu une zone d'exploitation économique, grâce à ses nombreuses matières premières (hévéamineraisriz, etc.). Sur le plan financier, la colonisation française en Extrême-Orient est un succès : la balance commerciale de l'Indochine est presque constamment bénéficiaire au début du xxe siècle et son économie connaît un « boom » dans les années 1920, ce qui lui vaut d'être considérée comme la « perle de l'empire ». La France développe les systèmes de santé et d'éducation dans les pays indochinois, dont la société reste cependant très inégalitaire. Les indigènes, malgré le développement d'une bourgeoisie locale, demeurent placés dans une situation d'infériorité et beaucoup connaissent des conditions de travail très dures. Sur le plan politique, la période coloniale se traduit par un profond affaiblissement de la monarchie vietnamienne, qui règne symboliquement sur un territoire divisé. Au Cambodge, le roi reste au contraire le principal référent de l'unité du pays, tandis que le Laos se constitue progressivement en tant que nation.

L'ordre colonial fait face à des soulèvements périodiques ; dans l'entre-deux-guerres, l'indépendantisme — principalement vietnamien — regagne en puissance, au profit notamment des communistes locaux. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, l'Indochine est occupée par le Japon tout en restant jusqu'au bout fidèle à Vichy. En mars 1945, craignant un débarquement allié, les Japonais détruisent l'administration colonialee vide du pouvoir à la fin de la guerre permet ensuite au Việt Minh, mouvement dirigé par les communistes, de proclamer l'indépendance du Viêt Nam. La France tente de reprendre le contrôle en réorganisant l'Indochine sous la forme d'une fédération d'États associés de l'Union française ; mais l'échec des négociations avec le Việt Minh débouche, fin 1946, sur la guerre d'Indochine, conflit qui s'inscrit à la fois dans le contexte de la décolonisation et dans celui de la guerre froide.

Les Français cherchent à trouver une solution en réunifiant le territoire vietnamien, où est proclamé en 1949 l'État du Viêt Nam. Le conflit vire cependant à l'impasse politique et militaire, au point que la France doit se résoudre à abandonner l'Indochine. Le Cambodge proclame son indépendance dès . Le processus est accéléré par la défaite française lors de la bataille de Diên Biên Phu, qui sonne le glas de la colonisation ; en , les accords de Genève mettent un terme à la guerre d'Indochine et marquent dans le même temps la fin de la Fédération indochinoise en reconnaissant l'indépendance du Viêt Nam, du Laos et du Cambodge. Ils officialisent également la partition du Viêt Nam, germe de la future guerre du Viêt Nam ainsi que des conflits parallèles au Laos et au Cambodge. La France maintient ensuite des liens avec les trois États issus de l'ex-Indochine, bien que leurs relations soient compliquées par les conflits que traversent les trois pays et par leur passage dans le camp communiste en 1975.

La population française est répartie en trois groupes principaux, celui des colons, celui des fonctionnaires et celui des militaires. Au Tonkin, où se trouve la capitale administrative, Hanoï, la population est surtout constituée de fonctionnaires : le recensement de 1937 y relève 18 171 Européens. C'est à Saïgon (Cochinchine), qui fait figure de capitale économique de l'Indochine, que se trouve à la même époque la plus forte densité de population européenne, avec 16 084 personnes, soit 0,35 % des habitants.


L'enseignement:
Le Lycée Chasseloup-Laubat de Saïgon est créé dans les années 1870, de même que plusieurs écoles primaires. L'enseignement public français coexiste, non sans tensions, avec celui des missions — qui privilégient l'apprentissage du latin et du quốc ngữ, tandis que le français est négligé — et avec l'enseignement traditionnel confucéen qui continue d'être dispensé au Sud. Le chinois est en outre toujours enseigné dans certains établissements rattachés au système éducatif colonial. On dispose, sur cette période, de peu de chiffres fiables sur l'enseignement en Cochinchine : les premières statistiques officielles, qui datent de 1899, évoquent un effectif de 23617 élèves en Cochinchine, tous établissements scolaires confondus. Dans les premiers temps de la colonisation, les écoles françaises attirent notamment des indigènes de condition modeste auxquels l'apprentissage du français offre une possibilité d'intégrer l'administration, donc de promotion sociale155.

sources:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Indochine_française#cite_note-94 



























Dans la littérature coloniale un parallèle est souvent fait entre la femme et le pays indigènes qui s’offrent tous deux à la conquête européenne (McClintock, 1995). Posséder un pays c’est par conséquent en posséder les femmes. 
  • 6  Louis MALLERET, L’Exotisme indochinois dans la littérature française depuis 1860, Paris, Larose, p (...)
Dans les colonies « le sentiment du prestige de la race blanche fait que l’Européen n’envisage l’amour que comme une des formes de la domination. La possession fait partie de l’exercice de l’autorité. Il y a, dans l’instinct qui rapproche le Blanc de la femme indigène, quelque chose – l’idéal chevaleresque étant exclu – de la notion féodale de la supériorité du maître et seigneur »6.
9Dans ce contexte les femmes vietnamiennes sont des objets que les colonisateurs se doivent de posséder puisque « la femme indigène étant une figure de la terre à conquérir, sa possession par le colonisateur romanesque fait presque figure d’obligation patriotique » (Yee, 2000, 13). Il est ainsi révélateur que, beaucoup plus que les hommes, les femmes indigènes se retrouvent sur les cartes postales que les coloniaux envoient à leur famille et surtout à leurs camarades restés en France (Belemenouar et Combier, 2007). On assiste parfois à un partage imaginaire des femmes indochinoises entre deux amis comme sur cette carte postale, datée de 1906 : « Mon cher Charles, Laquelle préfères tu ? moi je prends l'autre »7.

Figure 1 - Jeunes Congaïs
10Les Français se retrouvent donc dans des colonies imaginées/imaginaires qui prennent l’allure de « sex-scape » (Brennan, 2004). Tout se passe dans la littérature coloniale de l’époque comme si, face à une France puritaine et laborieuse, une France où le mariage monogame et indissoluble reste la norme – le divorce, rétabli en France en 1884 est encore largement réprouvé par l’opinion – « les colonies avaient été les harems de l’Occident » (Goutalier et Knibielher, 1985, 22). Dans ces harems, tout semble possible : 
  • 8  WILD Herbert, L’autre Race, Paris, Albin Michel, 1930, pp. 57-58. La piastre est la monnaie de l’I (...)
« Je veux cette fille là, dit Versoix… Ou plutôt je la voudrais, fit-il avec un découragement comique. Mais ça doit être impossible…
- Très possible, au contraire, dit Larsy… […]
- Larsy, dit Versoix, vous croyez que je pourrai l’avoir ?
- Dame, c’est une question de piastres… »8
  • 9  Tan Loc NGUYEN, « Cartes postales de l’Indochine », opcit.
11Les femmes vietnamiennes deviennent une « marchandise » pour citer une autre carte postale9.

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Hypervirilisation du colonisateur

16Le colonisateur se construit en homme par rapport à des femmes indigènes qu’il domine politiquement et sexuellement, et il se construit en homme viril par rapport aux hommes indigènes qui sont vus comme efféminés. On trouve de nombreux commentaires au sujet de la difficulté qu’ont les Européens nouvellement arrivés au Tonkin à distinguer les hommes des femmes : 
  • 17  Myriam HARRY, Petites Epouses, ou ma petite fleur d’Annam, Paris, Calmann-Lévy, 1901.
« De-ci, de-là, les Annamites, petits personnages jaunes, uniformes, pointus sous leurs chapeaux coniques, pataugeaient dans la vase et repiquaient du riz, en deux gestes de pantins. […] Alain s’étonna de la ressemblance des sexes, sous les mêmes vêtements »17.
  • 18  Pierre LOTI, Propos d’exil, Paris, C. Lévy, 1887.
  • 19  Voir par exemple l’ouvrage de Mrinalini SINHA et l’article d’Anne-Marie SOHN cités en bibliographi (...)
17Il est vrai que les Vietnamiens sont souvent de petite taille, de visage fin, imberbes, portent les cheveux longs. De plus, le costume masculin diffère peu de celui des femmes : « Homme ou femme ? Dans ce pays, on ne peut jamais savoir »18. Franck Proschan a montré que les Français – ce n’est ni une spécificité indochinoise ni une spécificité française19 – ont construit une certaine image de l’homme vietnamien, à savoir « androgynous, effeminate, hermaphroditic, impotent, and inverted » (Proschan, 2002, 436). 
18La littérature coloniale ne mentionne que très rarement la prostitution masculine et il est très difficile d’en trouver des traces dans les archives. On trouve des mentions en creux dans des rapports plus généraux sur la prostitution comme, par exemple, dans le rapport de 1910 du médecin major de Viétri, ville située à 50km au Nord-Ouest de Hanoi : 
  • 20  Rapport du médecin major chef du service du 4° bataillon sur les maladies vénériennes observées à  (...)
« Mais je crois fermement que, dans la plupart, l’origine de la maladie vénérienne est difficilement avouable, et qu’elle se trouve dans des rapports anormaux et variés de pédérastie. Il est de connaissance courante qu’à Viétri, comme dans bien d’autres postes d’ailleurs, nombreux sont les coolies pousse-pousse ou les gamins vicieux qui racolent, deux d’entre eux m’ont d’ailleurs été amenés à la visite, il y a quelques mois, porteurs de lésions très spéciales et bien caractéristiques »20.
19Cela donne un nouveau sens aux rapports de genre. En effet, la prostitution apparaît comme le domaine où la notion de genre s’applique par excellence. La prostitution est clairement une affaire de femmes comme le montrent les règlements concernant la prostitution dont les premiers articles précisent toujours : « Est réputée fille publique toute femme ou fille notoirement connue pour se livrer habituellement à la prostitution ». Par ailleurs les patronnes de maison de tolérance ne peuvent être que des femmes. Aucun homme ne peut habiter dans les maisons de tolérance, sauf le mari de la patronne et à la condition expresse qu’il ne s’occupe ni des filles ni de la gestion de la maison en général. Les rôles sont définis, l’homme ne peut qu’être le client, ou bien le représentant de l’autorité policière ou médicale.
20Mais que se passe-t-il quand la prostituée devient un prostitué ? Les rôles sociaux sexués et les systèmes de représentation du masculin et du féminin se brouillent et l’identité du colonisateur est alors remise en question. Il ne faut pas oublier que les discours sur l’homosexualité en métropole à la même époque présentent généralement les homosexuels comme des êtres efféminés voire des non-hommes (Revenin, 2005). Il faut donc expliquer l’homosexualité et la prostitution masculine et parmi les diverses raisons invoquées, on trouve l’« isomorphisme sexuel » (Proschan, 2002, 438), l’opiomanie qui pervertirait le sens moral des Européens, la perversion naturelle des indigènes qui contamine les colonisateurs… 
21Il s’agit de donner des explications rationnelles et scientifiques pour ne pas déviriliser l’image du colonisateur car il est crucial que dans la colonie le colonisateur soit un vrai homme pour pouvoir imposer sa volonté puisque c’est sur sa virilité même que repose le prestige de l’Homme Blanc et par conséquent tout l’ordre colonial. En effet, 
« les relations homosexuelles (…) représentent – selon les discours des autorités et des observateurs sociaux – un grave trouble à l’ordre social et sexuel par les transgressions qu’elles suscitent réellement ou supposément : mélange des "classes" sociales, des "races", des nationalités et confusion/inversion des genres et des rôles sexuels (…) La violation ou la confusion de ces frontières représentent une véritable perte des repères, voire une menace de "chaos" social, alors que la société a clairement défini le rôle de chacun » (Revenin, 2005, 81-83).
22Cette menace prend une résonance particulière en contexte colonial. En rejetant la responsabilité sur les colonisés, en dépeignant les hommes vietnamiens comme « gender-deviant » (Proschan, 2002, 459), les colonisateurs français peuvent à la fois justifier – il faut moraliser dans le cadre de la mission civilisatrice – et assurer leur domination coloniale. La construction de l’identité du colonisateur renvoie avant tout à une question de pouvoir : il s’agit d’affirmer sa domination sur les autres. Etant donné que les Français n’ont pas les moyens militaires suffisants pour défendre la colonie, que le souvenir de la conquête et donc de la supériorité militaire française s’efface progressivement, il faut trouver d’autres moyens. La suprématie de l’Homme Blanc en est un et tout repose donc sur l’image qu’ont d’eux-mêmes les colonisateurs et surtout sur l’image qu’ont les colonisés des colonisateurs.

La complexe fixation des frontières raciales

  • 30  Lettre du Résident Supérieur du Tonkin au Gouverneur Général de l’Indochine, as âge légal des fill (...)
  • 31  Projet d’arrêté réglementant les taxes à percevoir pour frais de séjour au dispensaire des femmes  (...)
31Il existe donc des différences entre la réglementation de la prostitution en métropole et au Tonkin. Ainsi, la réglementation autorise l’inscription à l’âge de à 18 ans alors qu’il est fixé à 21 ans en France. Certains règlements autorisent même la prostitution de filles âgées de 15 ans en raison de la « précocité de ces races annamites »30. Le monde de la prostitution est profondément multiracial et cela a des répercussions sur la réglementation. Les prostituées inscrites sur les registres de la police doivent payer annuellement une carte sur laquelle sont mentionnés leurs nom, prénom, adresse, âge, dates de visites médicales… La taxe diffère selon la race de la prostituée comme par exemple dans le règlement de Viétri en 1910 : les Vietnamiennes doivent payer 2 piastres, les Japonaises et Chinoises doivent payer 4 piastres et les prostituées de toute autre origine – entendre par là d’origine européenne – 8 piastres31. Les maisons de tolérance chinoises et surtout japonaises sont de maisons de plus grand luxe que les maisons vietnamiennes, ce qui explique cette différence. Les Japonais ont de plus un statut particulier en Indochine puisqu’ils sont assimilés aux Européens au même titre que les Indiens des anciens comptoirs français par exemple.

Ce qui leur pose plus de problèmes, c’est le concubinage des Européens avec des congaïs. Si au début de la colonisation le concubinage est bien perçu par les autorités coloniales, il progressivement critiqué et remplacé par une valorisation de la prostitution : « Concubinage was replaced by more restricted sexual access in the politically safe (but medically unsatisfactory) context of prostitution » (Stoler, 1989, 639). Le concubinage est d’abord favorisé par les autorités car le contact avec les femmes indigènes permet au colon de se familiariser avec la langue, les coutumes, la nourriture et ce même contact contribue à la survie des colons dans un milieu hostile. Les traités d’hygiène coloniale dénoncent le climat débilitant et certains affirment même 
  • 36  Dr. P. NAVARRE, Manuel d’hygiène coloniale, guide de l’Européen dans les pays chauds, Paris, Octav (...)
« les fonctions génésiques subissent, au début du séjour en pays intertropical, cette surexcitation que nous avons constatée pour toutes les autres fonctions, et dont il importe de se défier. […] On peut affirmer que la débilitation nerveuse produite par ces actes répétés place l’organisme dans cet état de réceptivité morbide qui le livre sans résistance à l’agression des endémo-épidémies »36
37Vivre avec une congaï permet d’avoir une relation quasi-conjugale et le colon mène donc une vie sexuelle moins risquée.
38Mais au début du xxsiècle, le concubinage est dénoncé pour les mêmes raisons : 
  • 37  Dr. B. JOYEUX, « le Péril vénérien », opcit., p. 244.
« la facilité de la vie elle-même, jointe à la dépression morale, à cette sorte de langueur intellectuelle qu’engendre l’adaptation à un climat malgré tout pénible, ont favorisé certaines déchéances, au contact d’une population indigène, toujours prête à favoriser ou à solliciter les faiblesses de celui qui restera toujours le conquérant – et qui a de l’argent »37.
39Et les autorités coloniales d’interdire aux fonctionnaires d’avoir des concubines indigènes, dans des termes très explicites quant à ce qui est reproché à ces concubines : 
  • 38  Circulaire du Résident Supérieur au Tonkin aux résidents et chefs de province, le 18 octobre 1901  (...)
« Certains faits signalés dernièrement à Monsieur le Gouverneur Général ont démontré une fois encore que la présence de femmes indigènes auprès des fonctionnaires et logées dans les bâtiments de l’Administration entraîne les plus graves inconvénients. Il ne s’agit pas, en effet, de la seule question de dignité personnelle que la situation irrégulière établie par cette cohabitation, met, cependant fortement en jeu. Il a été prouvé, par des cas heureusement rares, que l’influence même supposée de ces femmes admises dans l’intimité était préjudiciable à l’autorité du fonctionnaire et que sans porter forcément atteinte à la sincérité de ses actes administratifs, elle infirmait souvent la valeur et la légitimité de ses décisions ou de ses avis, en les exposant à être taxés de partialité par les indigènes. Il importe que les représentants de l’Administration, par qui s’exerce l’action du Gouvernement, jouissent d’un réel prestige, d’un respect incontesté, d’une réputation inattaquable sans lesquels il n’est pas de vraie force ni d’autorité. Les Administrateurs et tous ceux qui détiennent à quelque titre que ce soit, une parcelle des pouvoirs publics ne doivent être critiqués ni dans leur vie privée, ni dans leur vie publique, ni soupçonnés de leur intégrité. Ces attaques et ces soupçons sont malheureusement trop souvent les conséquences regrettables de la cohabitation avec la femme indigène »38.
  • 39  Eugène PUJARNISCLE, Philoxéne ou de la littérature coloniale, Paris, Firmin-Didot, 1931, p. 107.
40Les colonisateurs qui vivent avec des femmes indigènes perdraient toute crédibilité et, pire, leur qualité d’Européen en s’encongayant. L’adaptation est désormais vue comme une dégradation, une forme de décivilisation allant à l’encontre du projet colonial et de la mission civilisatrice française. De plus en plus, les Français vivant avec des congaïs sont vus comme passant dans « le camp de l’ennemi »39 (Pujarniscle, 1931, 107). Le concubinage n’est pas seulement la cause d’une chute individuelle, mais il devient la cause biologique (à cause des maladies vénériennes) et sociale de la dégénération de la race européenne dans son ensemble. Le concubinage est d’autant plus problématique que des enfants métis peuvent naître de ces relations. L’Indochine est la colonie où il y a eu le plus de métis et où est né le « problème métis » qui s’applique à une catégorie de métis bien particulière : 
« cette nouvelle manière d’appréhender le métissage ne s’applique pas uniformément à tous les produits des amours coloniales : la “question métisse” ne réfère qu’aux hybrides qui sont aussi des bâtards » (Saada, 2007, 29).
  • 40  DOUCHET, Métis et congaies d’Indochine, Hanoi, 1928, p. 10.
41Ces enfants sont dénoncés par les autorités comme résultant d’une faiblesse et parce qu’ils sont physiquement et moralement marqués par « les défauts et les qualités médiocres de leurs mères »40 et également de leurs pères (légionnaires, petits fonctionnaires, petits blancs…).

Mais au-delà d’un problème de morale, ces enfants constituent un problème politique (Stoler, 1992) puisqu’ils brouillent les frontières raciales que la colonisation entend mettre en place et faire respecter. Le fait que ces enfants soient élevés à mi-chemin entre les deux sociétés, européenne et indigène, contribue à brouiller la distinction entre colonisateur et colonisé, entre souverain et sujet. Les problèmes soulevés par ces métis sont différents selon que l’enfant est un garçon ou une fille. Les filles métisses ont aux yeux des hommes, vietnamiens comme européens, « l’attrait du diable » (Lefèvre, 1994, 117) mais surtout elles perturbent la société coloniale qui se demande quelle peut être la part civilisée, celle du Blanc, dans cet être vu comme profondément hybride. Les mères indigènes sont ainsi accusées d’habiller leurs filles comme des Européennes tout en les éduquant comme des Vietnamiennes, l’apparence occidentale cachant en réalité une pensée asiatique et contribuant à renforcer le flou initial. Quand le métis est un garçon, le problème est plus grave car les autorités redoutent que, arrivés à l’âge adulte et se rendant en compte que la société coloniale ne leur donne pas la place à laquelle ils aspirent, ils ne deviennent des militants politiques, contribuant de ce fait à fragiliser l’ordre colonial.

Source: http://journals.openedition.org/gss/1219

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