Commentaire: Les Verdurin

Lisez ce texte et répondez aux questions. 

Questions:


  1. Comment l’auteur décrit un salon bourgeois: quels sont les éléments essentiels de ce salon?
  2. En quoi  ce salon est une mauvaise copie d’un salon aristocratique?
  3. En vous appuyant sur le texte, montrez la subjectivité de la description.





Les Verdurin sont de riches bourgeois prétentieux qui reçoivent leurs amis et des artistes dans leur salon parisien, imitant en cela, mais de manière souvent ridicule, les salons aristocratiques.
Mme Verdurin était assise sur un haut siège suédois en sapin ciré, qu’un violoniste de ce pays lui avait donné et qu’elle conservait quoiqu’il rappelât la forme d’un escabeau et jurât avec les beaux meubles anciens qu’elle avait, mais elle tenait à garder en évidence les cadeaux que les fidèles avaient l’habitude de lui faire de temps en temps, afin que les donateurs eussent le plaisir de les reconnaître quand ils venaient. Aussi tâchait-elle de persuader qu’on s’en tînt aux fleurs et aux bonbons, qui du moins se détruisent ; mais elle n’y réussissait pas et c’était chez elle une collection de chauffe-pieds, de coussins, de pendules, de paravents, de baromètres, de potiches, dans une accumulation, des redites et un disparate d’étrennes.
De ce poste élevé elle participait avec entrain à la conversation des fidèles et s’égayait de leurs « fumisteries », mais depuis l’accident qui était arrivé à sa mâchoire, elle avait renoncé à prendre la peine de pouffer1 effectivement et se livrait à la place à une mimique conventionnelle qui signifiait sans fatigue ni risques pour elle, qu’elle riait aux larmes. Au moindre mot que lâchait un habitué contre un ennuyeux ou contre un ancien habitué rejeté au camp des ennuyeux – et pour le plus grand désespoir de M. Verdurin qui avait eu longtemps la prétention d’être aussi aimable que sa femme, mais qui riant pour de bon s’essoufflait vite et avait été distancé et vaincu par cette ruse d’une incessante et fictive hilarité – elle poussait un petit cri, fermait entièrement ses yeux d’oiseau qu’une taie2 commençait à voiler, et brusquement, comme si elle n’eût eu que le temps de cacher un spectacle indécent ou de parer à un accès mortel, plongeant sa figure dans ses mains qui la recouvraient et n’en laissaient plus rien voir, elle avait l’air de s’efforcer de réprimer, d’anéantir un rire qui, si elle s’y fût abandonnée, l’eût conduite à l’évanouissement. Telle, étourdie par la gaieté des fidèles, ivre de camaraderie, de médisance et d’assentiment, Mme Verdurin, juchée sur son perchoir, pareille à un oiseau dont on eût trempé le colifichet3 dans du vin chaud, sanglotait d’amabilité.

Marcel Proust, Un amour de Swann, 1913.

1. Pouffer : éclater de rire malgré soi.
2. Taie : tache opaque sur la cornée de l’œil.
3. Colifichet : objet avec lequel jouent les serins dans leur cage.

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